Conversation avec Jacob Yvon-Leroux, conseiller en stratégie d'impact

 

Jacob est conseiller en stratégie d’impact social chez Credo. 

Doté d’une grande capacité d’écoute et d’une véritable force d’analyse, Jacob est une personne que l’on aime avoir dans son équipe! Impliqué, passionné, perspicace et polyvalent sont tous des adjectifs qui lui correspondent très bien. Jacob est considéré comme un pilier de l’organisation.

Nous avons eu envie, le temps d’une conversation, de mettre les projecteurs sur lui et l’écouter se raconter.

Rencontre.


Peux-tu nous parler des moments marquants de ton parcours?

J'aime diviser ma vie en chapitres, comme une histoire, où chaque nouveau chapitre est une croisée de chemins très importante. En rafale, il y a eu mon enfance à la campagne, mon parcours scolaire entre Verdun et Drummondville, mon BAC à Polytechnique Montréal, ma maîtrise à Barcelone, mon premier emploi en tant que professionnel, l'arrivée des enfants, puis mon chapitre en cours : Credo. Dans chacun de ces chapitres, il y a eu plusieurs événements majeurs qui ont influencé qui je suis aujourd'hui.

Mon parcours jusqu’à Credo a réellement débuté lors de mes études en génie physique à Polytechnique Montréal. J'ai été conquis par la vie étudiante particulièrement effervescente et c’est en m’y impliquant abondamment que je me suis construit. Mes implications m’ont amené à découvrir le développement durable appliqué, mais j’ai vite réalisé que la perspective du développement durable en ingénierie au Québec était restreinte, se limitant principalement à l'impact environnemental de projets de développement. J'ai donc cherché à approfondir mes connaissances en faisant une maîtrise à l'étranger. C'est ainsi que j'ai atterri à Barcelone pour deux ans d'études en Sciences de la soutenabilité. Cette maîtrise multidisciplinaire mettait l'urbanisme au cœur de tout et m’a donc permis de combler mes lacunes dans les perspectives sociales et économiques du "développement durable". 

Lors de mon retour à Montréal, j’ai participé au Coopérathon dans le volet Éducation où j’ai fait la connaissance de Credo, avant de commencer ma carrière chez Photon etc., une entreprise d'optique-photonique. J'ai été séduit par la culture de l'entreprise, qui mettait l'accent sur les humains, l'environnement et des notions avant-gardistes. 

Qu’est ce qui t’a donné envie de t’orienter vers l’innovation sociale?

Je viens d'abord du côté de la conscience environnementale. J'ai évolué en apprenant sur les ravages du capitalisme, de la colonisation et de la mondialisation à outrance. Je crois fermement que mon $ a plus de pouvoir que mon bulletin de vote. Cependant, même si l'écosystème environnemental est le fondement de la civilisation, il est également celui qui génère le plus d'innovations, d'investissements et de solutions (bonnes ou mauvaises). De plus, lorsque nous cherchons des solutions aux problèmes environnementaux, nous nous heurtons immédiatement aux comportements humains.

Je crois profondément que les changements systémiques, gouvernementaux et corporatifs doivent d'abord passer par des changements à l'échelle individuelle, car ce sont les humains qui dynamisent tous ces systèmes.

C'est ainsi que j’ai découvert la mobilisation communautaire, le bottom-up et l'engagement citoyen. Et c'est à cette échelle que nous réalisons que, bien que l'environnement soit déjà une source d'inspiration importante, il y a encore beaucoup d'actions à entreprendre dans le domaine social. Ainsi, c’est cette prise de conscience du lien étroit entre les enjeux environnementaux et sociaux ainsi que mon parcours à Barcelone qui m’ont amené à m’orienter, en partie, vers l’innovation sociale.

Peux-tu nous parler d’une prise de conscience que tu as eue au travers de ton parcours?

Une prise de conscience majeure que j’ai vécue fut lors de ma participation dans un projet de coopération internationale au Cameroun. D’une part, j’ai été frappé par le décalage qui peut exister entre plusieurs cultures et la culture imposée par le capitalisme occidental et, en soi, le colonialisme. J’étais témoin d’un peuple situé dans un no man's land entre le déracinement de sa culture et ses traditions et son « obligation » de se conformer au capitalisme et à la mondialisation pour « réussir ».

De plus, mes réflexions étaient alors alimentées par ma lecture choc du moment: « Ébène : Aventures africaines » de Ryszard Kapuściński. D’autre part, j’ai ressenti un sentiment d’imposture en arrivant dans un pays, plein de bonnes intentions de « changer les choses » et « avoir un impact », mais de me heurter à la réalité des faits: je ne savais rien de ce pays et j’y étais moi-même un inconnu affublé d’étiquettes. C’est cette réalisation qui m’a fait me tourner vers ce que je connais le mieux, ma réalité, mon environnement et tous les enjeux qui s’y trouvent. C’est à ce moment que j’ai commencé à penser la durabilité à l’échelle humaine et locale d’abord et avant tout. Enfin, en rétrospective, j’ai compris que ce genre d’expérience de coopération internationale sert beaucoup plus le développement personnel qu’au développement international.

Tu as accompagné plusieurs organisations dans leur démarche d’impact. Peux-tu nous en parler?

En tant que fervent défenseur du "bottom-up", je crois que les changements que l'on tente de provoquer doivent d'abord avoir lieu à l'échelle individuelle pour pouvoir se propager fidèlement au sein de l'organisation. En ce sens, les accompagnements que Credo effectue sont fortement centrés sur les humains qui y prennent part. C'est pourquoi on met l'accent sur la participation des parties prenantes ainsi que sur les liens de confiance entre individus pour pouvoir se permettre des espaces d'échanges profonds.

Des changements de paradigme n'auront pas lieu si les préceptes sont seulement dans des rapports et des présentations. On doit passer par des changements de mentalité en les renforçant peu à peu, tout au long du processus. Lorsqu'on réussit ces changements, les documents et les écrits ne sont plus nécessaires. Voilà ce que l'on tente de faire lors d'un accompagnement en clarté ou en planification stratégique. Grâce à des ateliers participatifs, des discussions, des consultations de parties prenantes et d'expert.e.s, et l'usage d'outils d'aide à la réflexion et à la décision, on plante des graines pour changer les mentalités. 

Credo est en train d’adopter la gouvernance partagée comme mode d’organisation interne. Peux-tu nous en parler un peu?

La transition vers une gouvernance partagée est pour moi un véritable stimulant. J'ai toujours aimé m'impliquer à différents niveaux dans les organisations et institutions que j'ai traversées. Pouvoir trouver sa place, non seulement d'un point de vue fonctionnel dans les opérations de l'organisation, mais aussi d'un point de vue plus harmonieux avec cette entité « vivante » qu'est l'organisation, est extrêmement important et motivant.

Bien sûr, ce modèle n'est pas magique et il ne convient pas à tout le monde. La gouvernance partagée exige des compétences de gestion supplémentaires pour jongler entre les aspects internes et externes. Elle nécessite également un partage de l'imputabilité qui n'est pas toujours facile à mettre en place dès notre arrivée dans une nouvelle entreprise.

C'est un modèle qui rompt avec les conceptions traditionnelles des organisations, mais pour moi, qui perçois les organisations comme des entités vivantes participant à la société et ayant un rôle à jouer, ce type de gouvernance me semble plus fidèle à ce rôle. Bien que la transition vers la gouvernance partagée soit faite en douceur, on ressent les changements et surtout, on y participe directement.

Quels sont tes différents rôles dans l’organisation depuis la mise en place de la gouvernance partagée?

Mes implications dans les différents cercles se sont naturellement placées à l'intersection des besoins de l'organisation, de mes intérêts personnels et de mes compétences, dans cet ordre. J'ai rejoint le cercle de gestion des opérations pour répondre à un besoin urgent d'optimiser l'allocation de nos ressources, alors que l'équipe était surchargée. Quant au cercle outils technologiques, j'y participe principalement en raison de mes compétences et de mon aisance avec les technologies. Enfin, ma participation aux cercles de gestion de l'intelligence collective et de la R&D est motivée par mon désir constant d'améliorer et de développer nos connaissances et notre méthodologie d'accompagnement.

Y a-t-il des causes, des secteurs ou des enjeux sociétaux qui te tiennent particulièrement à cœur?

Je ne m'implique pas dans une organisation en particulier liée à mes valeurs. Je crois en l'importance des liens communautaires et je m'investis donc pour les renforcer. Enfin, je porte une attention particulière à partager des notions de changements de comportement nécessaires à l'échelle individuelle pour aspirer à une transition socio-écologique essentielle à la survie de notre planète. Pour ce faire, j'invite surtout les gens à être conscients de leurs habitudes de consommation. C'est une forme d'activisme plutôt douce, dirons-nous !

Y a-t-il des œuvres qui t’ont marquées et que tu aimerais nous recommander?

Ces derniers temps, j'écoute beaucoup ce groupe depuis la sortie de leur deuxième album. Il est difficile de décrire ce projet en quelques mots. Comme le nom du groupe l'indique, leur musique néo-classique/électro s'inspire du fleuve Saint-Laurent et de la nature environnante, avec en arrière-plan des images de floraison printanière et de paysages grandioses. Flore Laurentienne offre une musique intemporelle où l'humain s'efface pour laisser place à quelque chose de plus grand.

Pour ma dernière recommandation, je voudrais partager un balado fort pertinent et représentatif du quotidien de Credo sur l’ouvrage Winners Take All d'Anand Giridharadas. Déjà que le livre est excellent par le regard rafraîchissant qu’il porte, le balado est habilement mené par le journaliste Ezra Klein qui creuse les failles et angles morts dans des discussions profondes et éclairantes avec l’auteur. Dans ses écrits, Anand Giridharadas aborde de front la question du statu quo qui maintient les enjeux sociaux en vie malgré toutes les initiatives pour tenter de les résoudre. Il met en lumière l'élite, comme il l'appelle, qui n'ose pas compromettre sa situation malgré que cela permettrait probablement d'éliminer les injustices qu'elle tente de combattre dans un contexte gagnant-gagnant. Je recommande vivement le balado, même si vous n’avez pas lu le livre !

 
Précédent
Précédent

Des perspectives pour 2024

Suivant
Suivant

Avons-nous perdu le contrôle de nos approvisionnements?