Conversation avec Nancy Ha, conseillère en stratégie d'impact

 

Nancy Ha est conseillère en stratégie d’impact chez Credo. A la fois discrète et posée, elle fait preuve d’une rare écoute, attentive et calme. Poussée par une grande curiosité et une envie de comprendre, pour trouver des solutions adaptées et pertinentes, Nancy ne ménage pas sa peine. Elle plonge dans le travail avec une rigueur et une détermination positive sans faille.

Nous avons eu envie, le temps d’une conversation, de mettre les projecteurs sur elle et l’écouter se raconter. Pour en savoir plus sur elle. Une jeune femme à l’intelligence vive, et au sourire énigmatique.

Rencontre.

 

Peux-tu nous raconter les moments marquants de ton parcours ?

J’étais très timide au secondaire mais mon premier emploi au McDonald’s a beaucoup changé ma mentalité. Quand tu dois crier « Trio Big Mac » à deux heures du matin, tu cesses rapidement d’être timide. Je suis restée deux ans là-bas puis j’ai travaillé trois ans dans le commerce de détail, aux ventes. C’est là que j’ai commencé à aimer la mode. C’est certainement ce qui m’a conduite ensuite à travailler quatre ans en marketing, pour l’entreprise de mode québécoise Soïa & Kyo. Je gérais les médias sociaux, les relations avec les influenceurs, les relations presse. Ce que j’aimais le plus faire, c’est coordonner les photoshoots. J’ai d’ailleurs beaucoup voyagé pour ça à l’époque, à Los Angeles, en France. De l’extérieur, c’était une job de rêve. Mais tout n’est pas glamour dans la mode. Quand la pandémie est arrivée, je ne voyais plus du tout mes collègues de travail, alors que je les adorais. Je me suis sentie assez seule, pour être honnête. Ça m’a fait beaucoup réfléchir à ce que je voulais faire dans le futur, parce que je ne me voyais pas faire ça toute ma vie. 

J’ai toujours voulu retourner aux études pour apprendre encore plus. Au début, j’ai hésité à poursuivre mes études en communication-marketing, car je suis déjà diplômée de l’Université de Montréal, mais j’au eu envie de faire quelque chose de complètement différent. Je me suis donc inscrite au DESS de développement durable à HEC Montréal.


Qu’est-ce qui t’a donné envie de changer de trajectoire ? 

Déjà quand j’étais dans la mode, je m’intéressais aux modes de communication plus responsables, aux lignes plus durables, aux conditions de vie des travailleurs, aux matériaux recyclés. Chez Soia & Kyo, on avait déjà mis en place un atelier de réparation pour que les clients puissent garder leurs manteaux plus longtemps. C’est un aspect que j’aimais beaucoup. 

Je pense que le développement durable a beaucoup de potentiel pour les entreprises. Ça représente le futur des organisations. Les entreprises qui veulent être pérennes dans trente ou quarante ans doivent nécessairement modifier leurs opérations, la manière dont elles agissent, tant auprès de leurs employé.e.s que de leurs partenaires autour. 


Qu’est-ce que tu retiens du DESS de développement durable d’HEC Montréal ?

L’un des cours qui m’a le plus marquée est celui de marketing durable. Ça reprenait beaucoup de choses que je savais déjà mais on a beaucoup discuté des bonnes initiatives et des moins bonnes. Le cours de décroissance aussi. Même si on travaille beaucoup avec des entreprises qui veulent continuer à grandir de façon pérenne, la décroissance donne une autre perspective. Ça permet notamment de repenser les dynamiques Nord-Sud. 

Un autre cours très intéressant est celui qui s’intitule « Pratiques et Enjeux ». C’est un cours très général sur le développement durable, qui donne toutes les bases pour bien comprendre ce que le concept englobe, les différentes certifications etc. 


Comment vois-tu ton rôle chez Credo?

Je suis conseillère stratégique d’impact et intelligence d’affaires. J’ai déjà fait plusieurs mandats d’accompagnement en impact positif pour des entreprises, et je commence à travailler avec des organisations à but non lucratif. Je trouve ça intéressant de devoir m’adapter à leurs différentes réalités. 

Je travaille aussi avec Ghani Kholli en intelligence d’affaires. Je fais donc beaucoup de Business model canevas. Je viens du monde des entreprises, je comprends bien leurs réalités et j’aime beaucoup faire de la recherche ou du benchmarking. J’ai tendance à être très rationnelle, à toujours penser à ce qui peut être fait pour les clients sur le court terme, le moyen terme, le long terme. 


Tu as accompagné plusieurs entreprises dans leur démarche de certification B Corp. Peux-tu nous en parler ? 

B Corp est une certification qui demande beaucoup de temps et l’implication de nombreuses personnes, à des postes différents, beaucoup de concertation également. Une entreprise peut bien évidemment remplir elle-même son questionnaire mais il faut savoir que les deux tiers des entreprises qui déposent leur demande de certification B Corp ne l’obtiennent pas. Certaines questions sont très pointues. Or si l’entreprise n’est pas capable de prouver ce qu’elle déclare, elle n’obtiendra pas les points nécessaires.

Souvent, les entreprises réalisent en remplissant le questionnaire qu’elles n’ont pas toutes les informations demandées par le B Lab. C’est pourquoi on leur fournit un roadmap qui analyse les initiatives à mettre en place, avec des timelines réalistes. À moins de pouvoir cocher toutes les cases et apporter les preuves pour chaque question, la démarche B Corp prend généralement plusieurs mois, voire une année selon la taille de l’entreprise.

Certaines entreprises sont amenées à créer un comité Santé et sécurité, ou à revoir leur système de paie. Les changements à apporter tant dans la structure que les processus peuvent être plus ou moins importants. Souvent, les entreprises ne savent pas par où commencer. Et quand elles s’y mettent, les enjeux d’impact sociaux et environnementaux se retrouvent souvent sur le back burner.  Avec nous, elles savent qu’elles vont avoir des rencontres régulières. Nos rencontres donnent un certain rythme pour faire avancer les choses. 


Comment as-tu rencontré l’impact social?

Pendant mes études, j’ai fait un stage en affaires publiques et diplomatie au consulat des États-Unis. On était invité dans une réserve autochtone. C’était la première fois que j’entendais parler des pensionnats autochtones, de la violence faite aux enfants et du traumatisme des survivants. Ça m’a bouleversée pendant plusieurs semaines. À cette époque, on en parlait peu. Je ne savais pas trop quoi faire de ces informations. C’était une information accessible, mais dont personne ne parlait. Même quand j’en parlais à mes ami.e.s, ils ou elles trouvaient ça triste mais se sentaient démuni.e.s. 

Aussi, je suis asiatique. Je suis née dans une famille immigrante. Je vis avec toutes les questions de diversité ou d’inclusion depuis que je suis jeune. Je me rends compte que j’ai toujours un regard particulier sur les choses. Mais je ne peux pas dire que je suis exempte de critiques sur la diversité. Je pense que tout le monde a du travail à faire là-dessus, même moi. Une chose est sûre, toutefois : je pense qu’il est très important que les entreprises s’y intéressent et y réfléchissent. La diversité fait la richesse. 

Y a-t-il des causes, des thématiques ou des secteurs qui te tiennent particulièrement à cœur ? 

Une de mes amies étudie en criminologie. On parle souvent des conditions de vie des prisonniers et comment ils vont pouvoir s’intégrer à la société alors qu’ils n’y sont pas du tout préparés. 

J’aime aussi réfléchir à l’impact social et environnemental de la mode, explorer les questions d’économie circulaire. C’est vraiment plus que le matériel utilisé, c’est aussi les conditions des travailleurs, le rapport à la terre. 

Sinon, je me questionne sur la désinformation sur les réseaux sociaux. Je me demande comment aider les entreprises à mieux communiquer, à éviter le greenwashing notamment. Le terme sustainable, par exemple, est utilisé à tort et à travers. 


Y a-t-il des œuvres qui t’ont marquée et que tu aimerais nous recommander ? 

  • Le documentaire Becoming Woman in Zanskar (2007)

    Ce documentaire filmé il y a plus d'une décennie suit deux meilleures amies adolescentes qui habitent les montagnes isolées du Nord de l'Himalaya. La première est obligée de se marier, et la deuxième, ne voulant pas se marier, devient nonne. L'histoire de Tenzin et Palkit est racontée simplement, et avec respect. Loin d'être le "coming of age story" qu'on est habitué de voir sur les grands écrans, ce documentaire nous rappelle plutôt que beaucoup vivent encore avec des choix limités et que le privilège que l'on associe souvent à la couleur de la peau, la classe, la capacité et le genre, s'étend aussi à l'éducation, la religion, le lieu de naissance, le transport, la beauté, et j'en passe. Cette œuvre pleine de sincérité est à la fois émouvante, belle et cruelle. Je vous recommande de garder pas très loin une boîte de mouchoirs!


  • Le documentaire Madame B., histoire d'une Nord-Coréenne (2016)

    Ce documentaire raconte l’histoire de Madame B, une Nord-Coréenne et mère de famille qui se retrouve en Chine après avoir fui se pays. Elle est vendue à une famille chinoise dans la campagne qui la force à épouser leur fils unique. Chanceuse dans sa malchance, la famille est décente. Elle crée de bonnes relations avec ses beaux-parents et son nouveau mari, qu’elle apprend à aimer. Elle devient aussi le gagne-pain de la famille avec son entreprise de transport clandestin de personnes entre la Corée du Nord, la Chine et la Corée du Sud.

    Ce documentaire traite de trafic humain, de relations de famille houleuses, de morale, mais aussi de l’exode rural en Chine et des effets de la politique de l’enfant unique qui laisse plusieurs millions d’hommes célibataires et des familles qui voient comme seule option le recours à la traite de personnes, souvent de pays plus défavorisés ou d’autres régions en Chine. C’est un documentaire qui rend inconfortable, tant par les décisions de Madame B, les confessions crues, que les circonstances de vie moroses qui obligent à la résilience. 


  • Le film Great Freedom (2021)

    Great Freedom est un film envoûtant qui nous transporte dans l'Allemagne de l’Ouest d'après-guerre. On suit le récit de Hans sur trois décennies, emprisonné à maintes reprises parce qu'il est homosexuel et qu’il refuse de se plier aux attentes de l’époque. Il se lie d'amitié avec son compagnon de cellule, Viktor, et commence une relation amoureuse avec un autre détenu. Ce long métrage explore les thèmes de l’homosexualité, la persécution, le désespoir, l’amour, l’amitié et le travail. Je recommande le film si vous êtes intéressés à en apprendre plus sur le sujet.


    Vous pouvez retrouver Nancy Ha sur LinkedIn. Vous pouvez également la contacter directement à nancy@credoimpact.com

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