Et si on incluait la justice sociale dans la transition socio-écologique?

Photo par @claybanks pour Unsplash

Dans ce billet d’opinion, Anne-Laurence Buteau, conseillère en impact social chez Credo, nous fait part de ses réflexions sur le manque d’inclusion criant des populations marginalisées - et donc de justice sociale - dans les efforts de transition socio-écologique.

Comme on le sait toutes et tous, il y a eu de nombreuses conséquences négatives associées à la pandémie de la COVID-19. Néanmoins, je dois admettre que le confinement m’a permis de prendre un moment de pause, m’offrant ainsi le luxe de participer à quelques activités virtuelles auxquelles je ne me serais pas intéressée autrement. J’ai notamment participé à une consultation publique organisée par mon arrondissement – Ahuntsic-Cartierville – sur la rénovation d’un parc près de chez moi. Des résident.e.s du quartier étaient invités à donner leur point de vue sur son aménagement. Au cours de ces échanges, divers sujets de discussions ont émergé : les jeunes qui viennent jouer au basket et fumer le soir, des modules de jeux pour enfants qui devraient être ajoutés ou rénovés, etc. Certains étaient pour, d’autres contre le maintien de ce terrain.

Cette expérience de consultation publique m’a particulièrement intéressée et ce, à plusieurs titres. D’abord, elle m’a permis de découvrir que les citoyennes et citoyens peuvent exercer un certain pouvoir sur les questions relevant des politiques d'aménagement du territoire. La Ville de Montréal dispose de plusieurs mécanismes capables de favoriser les initiatives citoyennes. L’un de ces outils est le « budget participatif », qui permet aux citoyennes et citoyens de proposer et de voter pour des initiatives visant à améliorer les milieux de vie. Pour l'instant, trois arrondissements le proposent : Ahuntsic-Cartierville, Mercier–Hochelaga-Maisonneuve et le Plateau-Mont-Royal. 

Cette année, la Ville de Montréal a réservé un budget de10 millions de dollars pour réaliser des projets soumis et sélectionnés par la population. Ces derniers doivent, entre autres, contribuer à la transition écologique et sociale de Montréal. Sur le site de la Ville, on peut lire que « plus de 20 000 personnes ont participé au vote pour déterminer les projets à réaliser ». Parmi ces projets : la construction d’une serre urbaine, le reboisement et la rénovation d'espaces publics afin de les rendre plus accessibles aux personnes en situation de handicap, l’ajout de fontaines publiques afin de réduire la consommation de bouteilles en plastique...Tous d’excellents projets citoyens à impact généralement direct et apparemment répartis de manière équitable entre les différents arrondissements. Toutefois, un doute demeure quant à la prise en compte des besoins de toutes et de tous.

Mes réserves face au processus de consultation publique

Le pouvoir d’action et de participation citoyenne face aux enjeux de la transition socio-écologique est très - très - loin d’être partagé équitablement au sein de la population montréalaise. C’est un problème majeur. Pourquoi? Non seulement parce que le processus de transition écologique peine encore à intégrer l’aspect social de manière inclusive mais également parce qu’il évolue en marge de certaines réalités. Par exemple, en ne considérant pas dans la lutte environnementale certains enjeux socio-économiques et démographiques. Cette citation tirée de l’édito de Gabriel Malek pour le magazine Usbek&Rica dénonce parfaitement ce paradoxe :  « Se dire militant écologiste en refusant de s’engager pour la réduction des inégalités et des discriminations est une absurdité, la convergence des luttes étant inévitable pour assurer un véritable changement sociétal ».  

Prenons un exemple concret : la présentation à laquelle j’ai participé s’est déroulée en français, de façon virtuelle, à 18h30. Étant donné ma position relativement privilégiée - j’ai accès à une connexion internet haut débit, je vis dans un espace de vie agréable, mes horaires de travail sont de 9 à 5 - j’ai pu participer à cette consultation sans contraintes majeures. Imaginons maintenant les réalités que vivent d’autres personnes. L’Observatoire québécois des inégalités publiait récemment certains faits saillants tirés du Projet résilience, qui documente le vécu de populations Québécoises moins nanties durant la pandémie. Ce qu’on peut tirer de ce rapport, c’est que les populations marginalisées ne disposent pas d’autant de libertés que la plupart d’entre nous pour participer aux consultations publiques, ayant des horaires excessivement contraignants, cumulant parfois les petits boulots. Elles vivent parfois dans des conditions précaires, qui ne leur donnent pas le luxe d’avoir accès à certaines conditions que nous prenons pour acquises : internet, ordinateur ou téléphone intelligent. Leur langue maternelle ou fonctionnelle n’est peut-être pas le français, ou bien elles vivent avec des conditions physiques limitant leur autonomie. Trop souvent, ces personnes vivent dans des espaces insalubres et surpeuplés. Ces personnes dont je parle sont parmi les plus vulnérables, défavorisées, souvent marginalisées du fait de leur origine ethnique, de leur statut migratoire ou autres facteurs d’exclusion.

De nombreuses personnes sont de fait exclues des initiatives citoyennes parce qu’elles n’ont ni le temps, ni les capacités (en termes de disponibilité, d’accessibilité, tout simplement parce qu’elles ne sont pas informées, ou encore ne connaissent pas les rouages de l’administration publique) pour participer à des réunions virtuelles ou en présentiel. En effet, il y a un certain privilège associé à la préparation des dossiers ou d’une consultation publique à propos d’une action qu’elles souhaiteraient entreprendre pour leur quartier qui n’est pas à leur portée, surtout si ces personnes sont déjà socialement marginalisées. Même la mise en place d’une ruelle verte dépend d’une mobilisation citoyenne et l’effort est considérable. Il suffit d’observer la répartition des ruelles vertes sur l'île de Montréal pour comprendre que le cadre de vie et les contraintes du quotidien limitent la capacité des populations marginalisées à participer à ce type d’initiatives.

L’action citoyenne doit véritablement inclure la participation de toutes et de tous

La participation à l’action citoyenne pour lutter contre les changements climatiques ou pour avoir accès à un environnement de qualité est d’abord et avant tout une question d’inclusion sociale et d’intersectionnalité, inhérente à cette question. Parce que la participation publique a le potentiel d'être un vecteur important de la transition socio-écologique, il est donc nécessaire d’inclure toutes les voix afin que cette transition soit véritablement inclusive. Il y a plusieurs manières de construire ces ponts, et cela commence par une meilleure compréhension des réalités de TOUS les quartiers et des besoins des personnes qui y vivent afin d’éviter de creuser ces inégalités criantes existant entre les communautés. Comme le dénonce l’organisme Hoodstock dans un article de la Presse Canadienne, certains quartiers cumulent les désavantages tant sociaux qu’environnementaux. Des projets dispersés ne contribueront pas à les dissiper, en particulier si les processus administratifs pour les mettre en œuvre ne sont pas accessibles à tout le monde.  


Je termine sur ces dernières propositions qui sont autant des vœux pour l’année qui s’annonce que pour la mise en œuvre d’une transition écologique et sociale inclusive et effective pour la ville de Montréal. Il faudrait commencer à mettre en place des mécanismes de consultation auprès d’un échantillonnage représentatif de toutes les communautés qui composent Montréal, prenant en compte la justice environnementale ET sociale. Ainsi, nous serions plus à même de comprendre les réalités de toutes et de tous, et de mieux comprendre leur pouvoir d’action face aux crises environnementales et sociales. En effet, ces deux axes sont nécessaires pour élaborer une stratégie pour le développement de municipalités, plus en harmonie avec les besoins et les aspirations de leurs habitant.e.s. Après tout, comme le disait le syndicaliste et environnementaliste brésilien Chico Mendes : « l’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage ».   


N’hésitez pas à nous partager vos réflexions ou à nous contacter si vous avez des projets qui permettraient de mieux conjuguer « justice sociale » et « transition socio-environnementale ».


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